vendredi 18 février 2011

Histoire de l’allaitement #2 : Maria Lactans

La Vierge au coussin vert (Andrea Solario)

Origines et développement

Le thème de l’allaitement, dans l’art chrétien, remonte au concile d’Éphèse en 431 qui autorise et favorise le culte de Marie, « mère de Dieu ». Désormais, elle sera représentée avec son fils Jésus. La diffusion de ce thème aura pour but notamment d’affirmer clairement la double nature du Christ : Dieu et homme. Tout comme Isis donnait le pouvoir au pharaon en l’allaitant, Marie donne la parole de Dieu au chrétien à travers son « pur lait spirituel » (première Épître de saint Pierre).

Apparues aux 5ème et 6ème siècles dans l’Égypte copte, les première représentations de Marie sont inspirées de l’iconographie de la déesse Isis, très commune à cette époque. Elles arrivent dans l’empire byzantin au 9ème siècle après la période iconoclaste. En Occident, le thème se développe au 13ème siècle en même temps que le culte mariale (cathédrales Notre-Dame, la prière Ave Maria), et ceci particulièrement chez les franciscains. A la fin du Moyen-Âge, il est très fréquent de représenter Marie allaitant Jésus, et les artistes, qui ont gagné en réalisme, insistent davantage sur la tendresse liant les deux personnages.


Codification

De nombreux codes régissent ces représentations. Ceci explique les postures peu classiques qu’adoptent parfois la mère et son fils pour une séance d’allaitement. Jésus est souvent très grand car il doit apparaître clairement aux chrétiens désireux de prier. Il n’est jamais réellement en train de téter, car tout en étant contre Marie, il tourne la tête vers le spectateur pour le regarder. Le sein de la Vierge est souvent mal placé d’un point de vue anatomique mais les peintres se soucient peu de ce détail car l’allaitement est avant tout un acte spirituel et non nourricier au sens propre. De même, elle donne le sein assise sur le sol, position peu confortable, pour mettre en avant son humilité. 

Jésus est le plus souvent représenté nu et exhibant son sexe, ceci dans le but de signifier sa nature humaine. En contraste, Marie est toujours représentée habillée et souvent portant un voile. Ce point est important, car il s’agit d’une époque où l’Église insiste sur le mystère fondamentale du christianisme : l’Incarnation. Jésus est un « Dieu fait homme ». L’allaitement se prête bien à la mise en valeur de l’humanité du Christ : l’enfant a eu faim et soif comme n’importe quel être humain.

Les objets entourant les scènes d’allaitement sont également symboliques. Ainsi, la ceinture fermée de Marie représente la virginité, la grappe de raisin se rapporte à la Cène et au sang versé, le citron prédit les jours amers de la Passion, le chardonneret présage les souffrances du Calvaire.


L’intercession par le lait
Les hommes ont la possibilité de passer par Marie pour être écoutés par Dieu. Comme elle a nourri l’enfant Jésus, elle peut tout lui demander. Elle devient alors protectrice des hommes (Vierge Miséricorde) : elle intercède en leur faveur (Maria mediatrix) et les nourrit tous (nutrix omnium). On peut s’étonner de voir, dans certaines représentations, la Vierge montrer un ou deux seins nus, à côté d’un Jésus adulte montrant lui-même les cinq plaies de la Passion. Cette iconographie assez rare apparaît au paroxysme de la piété mariale : le lait de la Vierge est l’équivalent du sang versé par le Christ, il a le même pouvoir d’intercession.


Marie, nourrice de l’humanité
Le lait de la Vierge profite aux saints comme aux fidèles ordinaire :
- les saints : on trouve, à la fin du Moyen-Âge, beaucoup de représentations de la lactation de saint Bernard. A force de prier aux pieds de statues de Marie, certains saints reçoivent une giclée de lait et accède ainsi à l’une des identifications les plus extrêmes au Christ (il y a aussi les stigmates).
- les fidèles ordinaires : les femmes notamment pouvaient guérir de maladies des seins ou pouvaient avoir un lait manquant grâce à des fioles contenant une poussière blanche censée être le lait de la vierge et se trouvant dans les églises.

La Vierge Marie nourrit également les âmes du Purgatoire en pressant son sein au-dessus d’elle. Jésus, enfant, l’aide en pressant l’autre sein. Elle atténue ainsi leurs souffrances.

Enfin, de manière assez surprenante, les seins de la Vierge ont un attrait érotique. Les hommes ayant fait vœu de chasteté ont parfois des tentations. Certains voient la Vierge en rêve qui les nourrit de son lait. Ils sont ainsi rassasiés et moins enclin à succomber aux plaisirs de la chair. On peut aussi lire dans le Cantique des cantiques :
« Que tes mamelles sont exquises, ma mie, ma fiancée. Tes seins sont plus exquis que le vin, et l’arôme de tes parfums surpasse tous les baumes ! Mes amis écoutent ces mots et savent que je les prononce, car je les admire parce que tu es mère et vierge, et que le fruit d’un seul de tes yeux et d’un seul de tes cheveux de ton cou est tel qu’alors qu’on te disait indigne d’un homme, on t’a rendue digne de Dieu […]. Tu fus jugée digne, avec tes belles mamelles, tes seins si beaux, tes mamelles vierges, tes chastes seins, d’allaiter un fils Dieu et homme. »

Évolution de Maria Lactans

A partir du 18ème siècle, les représentations de Marie allaitant Jésus cessent complètement, certainement jugées indécentes. D’un autre côté, les artistes vont de plus en plus vers une production profane. On retrouve cependant l’influence de toutes ces œuvres religieuses dans les peintures d’allaitement ordinaire, notamment avec la nudité de l’enfant. Il faudra attendre longtemps et des artistes comme Jean-François Millet ou Maurice Denis pour voir apparaître des scènes d’allaitement réalistes.

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